dimanche 24 juin 2007

Sociologie : risque ou incertitude ?

Risque(s) et gouvernementalité - Reconstruction théorique et illustration empirique : les usages du risque dans l’économie du châtiment légal

Gilles Chantraine et Jean-François Cauchie

sur Socio- logos, revue publiée par l'Association Française de Sociologie

Résumé :

"Notre article détaille l’appréhension spécifique de la notion de risque dans le cadre théorique d’inspiration foucaldienne de la littérature sur la gouvernementalité (governmentality studies), et la manière dont cette appréhension spécifique met à l’épreuve certains fondements et interprétations de la sociologie dominante du risque telle qu’elle se déploie notamment à travers le métarécit de la « société du risque » d’Ulrich Beck. Nous soulignerons en quoi la perspective gouvernementaliste offre un cadre d’analyse à la fois plus modeste, plus empirique, et plus diversifié que la théorie de la société du risque. Nous appuierons notre argumentation théorique à l’aide d’une recherche empirique spécifique : la gestion des « risques criminogènes » dans les établissements pénitentiaires canadiens, en insistant sur l’inscription de cette recherche dans le questionnement plus global des transformations macrosociologiques du système pénal et de l’économie punitive dans les sociétés contemporaines. Cet effort de clarification théorique, de comparaison analytique et d’illustration empirique mettra au jour les différentes formes de postures constructivistes et les différents types de projets critiques qui fondent l’analyse sociologique d’un risque particulier, et permettra, in fine, de mieux cerner l’espace de pertinence des analyses d’Ulrich Beck."

Conclusion :

"[...] Si l’analyse de Callon, Lacoumes et Barthe permet de souligner les apports de Beck, ces mêmes auteurs montrent bien en quoi la notion de risque, trop figée et déjà soumise à la seule parole experte, porte en elle ses propres limites ; les auteurs lui préfèrent la notion d’incertitude, beaucoup plus ouverte sur l’avenir. La distinction permet de comprendre un peu mieux pourquoi la tentative d’imposer le risque comme un paradigme global et totalisant présente le danger de sous-tendre des projets politiques a priori largement éloignés de ceux que Beck prétend désirer, à savoir le renouveau de la démocratie par l’extension de la politique à tous les domaines de la vie (Beck, 2001 [1986], 395-399). Obnubilée par la catégorie du risque, la politique tend à se réduire à la négociation des risques et à leur distribution. « Dans une telle perspective, l’enjeu pour les acteurs n’est pas de partir à la recherche d’un monde commun, encore inconnu, mais d’en choisir un parmi tous ceux qui sont connus ou anticipables (…) [Faire du risque] le premier et le seul point de l’ordre du jour, c’est refuser par une sorte de mépris aristocratique, de prendre au sérieux les multiples tentatives faites par les acteurs pour inventer les formes d’organisation des forums hybrides qui leur permettent non pas de choisir entre des scénarios mais de les concevoir » (Callon et al., 2001, 312). C’est donc en relisant Beck sur la base resserrée d’une critique de la récupération par les experts eux-mêmes (le toujours plus de la même chose évoqué plus haut) des conceptions des « risques » industriels et des « bonnes manières » de les gérer, bref en reconstruisant les opérations de mise en risque et en objectivant l’imaginaire politique au sein duquel il se déploie (les conceptions du rôle des experts), que Beck redevient le plus intéressant ; au delà de l’actualité politique incontestable du questionnement, cela commence à ressembler fortement à une lecture gouvernementaliste du phénomène."

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