vendredi 14 octobre 2016

Après le burn-out et le bore-out, voici le brown-out

Cette nouvelle pathologie touche le salarié laminé par l’absurdité quotidienne des tâches à accomplir.
image: http://s2.lemde.fr/image2x/2016/10/13/534x0/5012740_6_2970_2016-10-12-9c75537-12519-1dg9gof-g1e0sbgldi_b17c306d9d6bcffe0e31af1a99822df8.jpg

SIMON LAW/ CC BY-SA 2.0
Reconnaissons au moins ce mérite au monde du travail : il produit des pathologies professionnelles sans cesse renouvelées, résultant du caractère protéiforme des tortures qui sont infligées au salarié. Cousin éloigné de l’antique bûcher, le burn-out, cette « consumation » par excès d’investissement, est désormais entré dans le langage courant. Le mail professionnel reçu à 1 heure du matin – et auquel on se sent obligé de répondre – participe de cette dynamique crématoire qui finira par transformer l’employé trop zélé en petit tas de cendres fumantes.
Si, en revanche, votre entreprise ne vous donne rien à faire, vous risquez alors d’être aspiré dans un tourbillon de vacuité que l’on nomme le bore-out. Nous ne sommes pas loin, dans ce cas, d’une forme de réinterprétation des oubliettes médiévales, où l’on tentait vainement de tromper l’ennui en jouant au morpion avec les os de ses prédécesseurs.
Baisse de courant psychique
A côté de ces deux formes chatoyantes de négation de l’individu, par le feu de l’hyperactivité et par le rien, il faut en ajouter une troisième, qui émerge aujourd’hui telle une nouvelle évidence. Son nom ? Le brown-out. Cette baisse de courant psychique peut être envisagée comme une sorte de dévitalisation provoquée par l’absurdité quotidienne des tâches à accomplir.
Au cœur de cette forme réactualisée d’écartèlement psychique, la perspective d’un salaire régulier finit par entrer en opposition avec le caractère rebutant des missions qui vous sont confiées. Mettre la pression sur les échelons inférieurs comme si vous étiez un garde-chiourme du bagne de Cayenne, travailler pour un client dont vous savez pertinemment que l’action produit un effet néfaste sur la marche du monde, se prosterner devant les chiffres et favoriser ainsi l’avancée de cette froide logique statistique devenue étalon existentiel : les occasions de participer à l’édification d’un monde qu’on exècre sont légion en entreprise.
La pire part de soi-même
Au final, toutes ces actions répétées qui heurtent vos valeurs profondes fertilisent le terrain du brown-out et conduisent à votre désinvestissement progressif. Ce mouvement de retrait est logique lorsque l’on constate que la vie de bureau sollicite non pas la meilleure, mais la pire part de soi-même.
Dans leur ouvrage The Stupidity Paradox (Pearson, non traduit), les chercheurs britannique et suédois André Spicer et Mats Alvesson étudient cette mécanique surprenante qui veut que les entreprises recrutent des diplômés brillants pour exiger d’eux, au final, qu’ils mettent leur cerveau en sommeil. Ces jeunes travailleurs qui s’attendaient à des tâches stimulantes se retrouvent alors à faire la danse du Powerpoint pour tenter d’hypnotiser les clients, dans un climat intellectuel para-prostitutionnel.
Concassage de l’individu
On en vient alors à se demander si la fonction réelle de l’entreprise ne serait pas le concassage de l’individu, l’être humain étant devenu la matière première d’un processus global de destruction créatrice directement inspiré par l’économiste Joseph Schumpeter.
Syndrome plein d’avenir, le brown-out – et sa prise en charge – se révèle une aubaine pour l’industrie pharmaceutique (réponse moléculaire), les psys (réponse conversationnelle) et la myriade de sous-traitants qui revendent désormais de la quête de sens en pack (réponse transcendantale).
Nicolas Santolaria

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/10/13/apres-le-burn-out-et-le-bore-out-voici-le-brown-out_5012742_4497916.html#5viEwtbub7VJEjC4.99

jeudi 13 octobre 2016

Les étudiants sont désormais formés au « savoir-être »


Créatif, innovant, optimiste : les entreprises n’ont plus que ces adjectifs à la bouche. Récemment, un célèbre cabinet d’audit américain a annoncé son intention de recruter quatre profils types. Pour les définir, l’entreprise a utilisé ­quatre néologismes : « outoftheboxeur, synergisant, révolueur, éconoclaste ». Du marketing qui frôle la caricature, mais qui conforte l’importance qu’ont prise dans le monde du travail les soft skills, ces qualités humaines ou compétences émotionnelles.
La différence entre deux candidatures a priori égales se fait désormais sur le « savoir-être ». Plus le candidat est « adaptable », « optimiste », « créatif » ou « doté d’un esprit d’équipe », plus il séduira le recruteur.
Lire aussi : Pour trouver un emploi, la personnalité compte plus que les stages

Atelier de pleine conscience
Grandes écoles et universités ont dû s’adapter à cette évolution et veiller à ce que leurs étudiants ­arrivent outillés sur le marché de l’emploi. Mais peut-on enseigner les soft skills, parmi lesquelles ­figurent l’empathie, l’enthousiasme, la bienveillance, comme on enseigne la biologie, la littérature ou la finance ?
« LES COMPÉTENCES CHANGENT RAPIDEMENT. NOS ÉTUDIANTS DOIVENT POUVOIR TRAVAILLER DANS L’INCERTITUDE, LA COMPLEXITÉ ET L’INNOVATION. POUR CELA, ILS DOIVENT SE CONNAÎTRE EUX-MÊMES »
Dominique Steiler, enseignant-chercheur en management à GEM (Grenoble Ecole de Management) et titulaire de la chaire « Mindfulness, bien-être au travail et paix économique », a créé des ateliers de pleine conscience dans son établissement. Les ­formats pédagogiques classiques – salle de classe, cours théorique, ton magistral – sont délaissés au profit d’un travail collaboratif, de projets ou d’ateliers en petits groupes.
« Il faut que les étudiants apprennent à apprendre. Les compétences changent rapidement, il y a des métiers qui existeront dans dix ans et qu’on ne connaît pas encore. Nos étudiants doivent pouvoir travailler dans l’incertitude, la complexité et l’innovation. Pour cela, ils doivent se connaître eux-mêmes », explique Laure Bertrand, directrice du département « Soft skills et transversalité » du pôle universitaire Léonard-de-Vinci, à la Défense (Hauts-de-Seine).
Dans les écoles d’ingénieurs, traditionnellement vouées à enseigner des compétences tech­niques, la révolution soft skills a déjà eu lieu. « L’ingénieur n’est plus seulement le gestionnaire de la technique, car celle-ci s’est automatisée et numérisée. Il est devenu une interface entre la technique et les fournisseurs, entre les clients et son entreprise », analyse Denis Lemaître, le directeur de la formation de l’Ecole nationale ­supérieure des techniques avancées (Ensta) Bretagne. Comme le manageur, l’ingénieur doit posséder des compétences en communication.
D’autant que la CTI (commission des titres d’ingénieurs) impose désormais un volet « humain » dans son référentiel de compétences. « Nous essayons de ne pas déconnecter ces compétences d’avec les valeurs de notre école – éthique et réflexivité –, qui a été fondée par le philosophe Gaston Berger. Il ne faut pas confondre soft skills et recettes de cuisine », nuance Christophe Odet, directeur adjoint de l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon.
Potentielle dérive utilitariste
A l’université, les soft skills sont encore largement absentes des cursus, en dehors des filières de gestion, de management et de ressources humaines. Cette année, les universités de Paris-Dauphine et d’Avignon ont, elles, mis en place des « enseignements d’ouverture ». A Dauphine, la ­participation des étudiants de premier cycle y est obligatoire, mais elle n’est pas notée.
« L’IDÉE EST DE FAIRE ÉMERGER DES ÊTRES SINGULIERS, PAS DES SUPER-QI SUR PATTES. LES “SOFT SKILLS” QUE NOUS ­ESSAYONS DE TRANSMETTRE NE DOIVENT PAS ÊTRE LE REFLET D’UNE SOCIÉTÉ SAVANTE, MAIS AU CENTRE D’UNE AVENTURE HUMAINE »
Catherine Chouard, ancienne directrice des ressources humaines, a animé le premier module de soft skills dans un amphithéâtre de 800 places, avec des étudiants de première année de licence équipés d’un boîtier digital. Moyenne d’âge : 17,5 ans. « L’idée est de faire émerger des êtres singuliers, pas des super-QI sur pattes, précise-t-elle. Les soft skills que nous ­essayons de transmettre ne doivent pas être le reflet d’une société savante, mais au centre d’une aventure humaine. »
Dominique Steiler, attire l’attention sur une potentielle dérive utilitariste de ces « compétences comportementales » : « Si l’on pense au retour sur investissement de la bienveillance, est-ce encore de la bienveillance ? La gratitude ne doit pas être au service du profit et de l’hyperperformance de l’entreprise. On ne peut pas la quantifier, encore moins avec une barre de niveau sur un CV, ça n’a pas de sens ! »
Lire aussi : Les robots recruteurs ont-ils du flair ?

A Grenoble Ecole de Management, les étudiants qui ont pu suivre les ateliers de pleine conscience lancés en 2016 se sont montrés intéressés et… déconcertés. Mélanie Foucher, 21 ans, étudiante de deuxième année, a suivi ces séances : « Les premiers ateliers sont déroutants. On nous demande de nous allonger par terre ou d’apprendre à respirer. Mais le fait de mettre des mots sur ces sensations permet d’être à l’écoute de nous-mêmes et de gérer notre stress. »
Lire aussi : En entreprise, la personnalité des diplômés devient primordiale

Pleine conscience, interactivité, projets pluridisciplinaires… Nul doute que la transmission des soft skills n’en est qu’à ses ­débuts à l’université et dans les grandes écoles.
Article publié en partenariat avec FormaSup Ain Rhône Loire et Skilvioo, dans le cadre de la Rencontre « CV Compétence » organisée jeudi 13 octobre à 18 heures à l’auditorium du Monde.
A chaque pays, ses compétences revendiquées…
Selon que vous serez un jeune diplômé indien, américain ou chinois, vous ne revendiquerez pas les mêmes compétences. Une étude réalisée par Ernst & Young, le CSA et Linkedin, en 2014, intitulée « La révolution des métiers », montre que la carte des compétences inscrites sur les profils Linkedin dépend du pays d’origine.
Ainsi les salariés des pays développés mettent plus en avant leurs compétences « comportementales » que « techniques ». Les Américains par exemple évoquent sans complexe leur aptitude à « l’amélioration de processus », au « leadership » ou à l’« esprit d’équipe ». Les Britanniques parlent de « travail en équipe », mais également de « coaching » ou « de gestion du changement ». Un Français valorisera quant à lui le « marketing digital » et, la « gestion – et non le travail – d’équipe ».
Les inscrits des pays émergents, eux, préfèrent largement citer leurs compétences techniques. Au Brésil, on met en avant des compétences liées aux logiciels ou à l’industrie. Les Indiens valorisent leurs atouts en développement informatique. Quant aux Chinois, ils préfèrent parler de leur industrie manufacturière.
Marine Miller
Journaliste au Monde

jeudi 6 octobre 2016

Petite et grande histoire du féminisme en BD


Le féminisme

Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu

Onzième tome de la Petite bédéthèque des savoirs, collection de vulgarisation en bande dessinée lancée par le Lombard au début de l’année, ce récit historique et sociologique revient sur les grandes étapes et les concepts-clés du féminisme en décryptant sept slogans et citations (Olympe de Gouges, Simone de Beauvoir, Benoîte Groult) associés à ce mouvement. Anne-Charlotte Husson, doctorante en sciences du langage à l’université Paris 13 et animatrice du blog Genre !, s’est associée au dessinateur Thomas Husson, auteur du tumblr Projet Crocodiles, qui relate des témoignages liés au sexisme ordinaire et au harcèlement de rue. Leur ouvrage sortira en librairie le 7 octobre.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/bande-dessinee/visuel/2016/10/05/petite-et-grande-histoire-du-feminisme-en-bande-dessinee_5008660_4420272.html#diE1YUIo1AeIFzro.99



mercredi 5 octobre 2016

Yahoo espionne tous vos e-mails pour le compte de la NSA ou du FBI

Yahoo a accepté sans combattre d'installer un logiciel sur ses serveurs, qui regarde le contenu des e-mails qui arrivent et transmet aux services de renseignement américains ceux qui peuvent les intéresser. Il est plus que temps de fermer son compte Yahoo.

L’agence Reuters a révélé mardi que les ingénieurs en charge du service des e-mails de Yahoo ont développé et mis en place en 2015 un logiciel qui scanne le contenu de tous les messages envoyés vers les centaines de millions de comptes Yahoo, pour copier et mettre à la disposition des autorités américaines ceux qui contiennent certaines chaînes de caractères intéressant les services de renseignement. L’ordre confidentiel, qui émanerait de la NSA ou du FBI et a été confirmé par quatre sources dont trois anciens employés de Yahoo, a été suivi sans que la direction de Yahoo le conteste.

C’est la découverte du bout de code qui aurait conduit le chef de la sécurité de Yahoo, Alex Stamos, à démissionner et partir chez Facebook en juin 2015. Ses équipes n’avaient pas été informées et il jugeait que le code mettait en danger la sécurité des utilisateurs.


En 2012, Edward Snowden avait déjà révélé l’existence du programme PRISM de la NSA, auxquels participaient de nombreux géants du web, qui permettaient aux agents d’obtenir l’accès à des données d’utilisateurs stockées sur le cloud, à travers des requêtes ciblées. Mais le programme de surveillance mis en place par Yahoo est le premier du genre connu, qui vise à espionner massivement l’ensemble des courriels au moment où ils arrivent dans les boîtes aux lettres, pour mettre de côté ceux qui sont susceptibles d’intéresser les services américains.

GOOGLE ET MICROSOFT ASSURENT NE PAS FAIRE LA MÊME CHOSE. SNOWDEN EN DOUTE.

Cette demande est probablement le résultat de la politique de chiffrement mis en place par la plupart des grands éditeurs de services en ligne, après les révélations de Snowden. Tous ont décidé de chiffrer les communications pendant leur transit y compris entre leurs propres serveurs, ce qui rend difficile pour la NSA ou d’autres services la détection et l’appréhension de messages « intéressants ». Mais une fois arrivés à destination, les e-mails ne sont plus chiffrés, et Yahoo dispose donc de la possibilité d’en scanner le contenu.

L’agence Reuters a demandé à ses concurrents Google et Microsoft s’ils avaient reçu le même type d’ordre pour Gmail ou Live. « Nous n’avons jamais reçu une telle requête, mais si c’était le cas, notre réponse serait simple : pas question », a affirmé un porte-parole de Google. Microsoft, lui, se fait plus évasif. « Nous ne nous sommes jamais livrés dans le scan secret du trafic email tel que celui qui a été rapporté au sujet de Yahoo aujourd’hui ».

Cela peut vouloir dire que Microsoft a bien reçu un ordre mais qu’il a refusé de l’appliquer, ou qu’il a appliqué un ordre légèrement différent. Pour Snowden, il faut considérer que toute entreprise qui reste floue est « aussi coupable que Yahoo ».



L’agence Reuters précise que c’est Marissa Mayer elle-même, avec certains lieutenants, qui ont décidé de ne pas combattre l’ordonnance reçue par Yahoo, et de s’y plier, « en partie parce qu’ils pensaient qu’ils perdraient » en cas de recours. Mais forcément quand on ne se bat pas, on ne peut que perdre.

L’American Civil Liberties Union (UCLA), elle, estime qu’un tel programme était clairement illégal et même inconstitutionnel :


Le nombre des e-mails identifiés et transmis par Yahoo aux services de renseignement américains est inconnu. Mais le principe-même va continuer à entacher durement la réputation de Yahoo, qui avait déjà dû reconnaître le mois dernier le piratage des identifiants de 500 millions de comptes.

Reste-il une seule bonne raison de garder un compte Yahoo actif ?