jeudi 13 octobre 2016

Les étudiants sont désormais formés au « savoir-être »


Créatif, innovant, optimiste : les entreprises n’ont plus que ces adjectifs à la bouche. Récemment, un célèbre cabinet d’audit américain a annoncé son intention de recruter quatre profils types. Pour les définir, l’entreprise a utilisé ­quatre néologismes : « outoftheboxeur, synergisant, révolueur, éconoclaste ». Du marketing qui frôle la caricature, mais qui conforte l’importance qu’ont prise dans le monde du travail les soft skills, ces qualités humaines ou compétences émotionnelles.
La différence entre deux candidatures a priori égales se fait désormais sur le « savoir-être ». Plus le candidat est « adaptable », « optimiste », « créatif » ou « doté d’un esprit d’équipe », plus il séduira le recruteur.
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Atelier de pleine conscience
Grandes écoles et universités ont dû s’adapter à cette évolution et veiller à ce que leurs étudiants ­arrivent outillés sur le marché de l’emploi. Mais peut-on enseigner les soft skills, parmi lesquelles ­figurent l’empathie, l’enthousiasme, la bienveillance, comme on enseigne la biologie, la littérature ou la finance ?
« LES COMPÉTENCES CHANGENT RAPIDEMENT. NOS ÉTUDIANTS DOIVENT POUVOIR TRAVAILLER DANS L’INCERTITUDE, LA COMPLEXITÉ ET L’INNOVATION. POUR CELA, ILS DOIVENT SE CONNAÎTRE EUX-MÊMES »
Dominique Steiler, enseignant-chercheur en management à GEM (Grenoble Ecole de Management) et titulaire de la chaire « Mindfulness, bien-être au travail et paix économique », a créé des ateliers de pleine conscience dans son établissement. Les ­formats pédagogiques classiques – salle de classe, cours théorique, ton magistral – sont délaissés au profit d’un travail collaboratif, de projets ou d’ateliers en petits groupes.
« Il faut que les étudiants apprennent à apprendre. Les compétences changent rapidement, il y a des métiers qui existeront dans dix ans et qu’on ne connaît pas encore. Nos étudiants doivent pouvoir travailler dans l’incertitude, la complexité et l’innovation. Pour cela, ils doivent se connaître eux-mêmes », explique Laure Bertrand, directrice du département « Soft skills et transversalité » du pôle universitaire Léonard-de-Vinci, à la Défense (Hauts-de-Seine).
Dans les écoles d’ingénieurs, traditionnellement vouées à enseigner des compétences tech­niques, la révolution soft skills a déjà eu lieu. « L’ingénieur n’est plus seulement le gestionnaire de la technique, car celle-ci s’est automatisée et numérisée. Il est devenu une interface entre la technique et les fournisseurs, entre les clients et son entreprise », analyse Denis Lemaître, le directeur de la formation de l’Ecole nationale ­supérieure des techniques avancées (Ensta) Bretagne. Comme le manageur, l’ingénieur doit posséder des compétences en communication.
D’autant que la CTI (commission des titres d’ingénieurs) impose désormais un volet « humain » dans son référentiel de compétences. « Nous essayons de ne pas déconnecter ces compétences d’avec les valeurs de notre école – éthique et réflexivité –, qui a été fondée par le philosophe Gaston Berger. Il ne faut pas confondre soft skills et recettes de cuisine », nuance Christophe Odet, directeur adjoint de l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon.
Potentielle dérive utilitariste
A l’université, les soft skills sont encore largement absentes des cursus, en dehors des filières de gestion, de management et de ressources humaines. Cette année, les universités de Paris-Dauphine et d’Avignon ont, elles, mis en place des « enseignements d’ouverture ». A Dauphine, la ­participation des étudiants de premier cycle y est obligatoire, mais elle n’est pas notée.
« L’IDÉE EST DE FAIRE ÉMERGER DES ÊTRES SINGULIERS, PAS DES SUPER-QI SUR PATTES. LES “SOFT SKILLS” QUE NOUS ­ESSAYONS DE TRANSMETTRE NE DOIVENT PAS ÊTRE LE REFLET D’UNE SOCIÉTÉ SAVANTE, MAIS AU CENTRE D’UNE AVENTURE HUMAINE »
Catherine Chouard, ancienne directrice des ressources humaines, a animé le premier module de soft skills dans un amphithéâtre de 800 places, avec des étudiants de première année de licence équipés d’un boîtier digital. Moyenne d’âge : 17,5 ans. « L’idée est de faire émerger des êtres singuliers, pas des super-QI sur pattes, précise-t-elle. Les soft skills que nous ­essayons de transmettre ne doivent pas être le reflet d’une société savante, mais au centre d’une aventure humaine. »
Dominique Steiler, attire l’attention sur une potentielle dérive utilitariste de ces « compétences comportementales » : « Si l’on pense au retour sur investissement de la bienveillance, est-ce encore de la bienveillance ? La gratitude ne doit pas être au service du profit et de l’hyperperformance de l’entreprise. On ne peut pas la quantifier, encore moins avec une barre de niveau sur un CV, ça n’a pas de sens ! »
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A Grenoble Ecole de Management, les étudiants qui ont pu suivre les ateliers de pleine conscience lancés en 2016 se sont montrés intéressés et… déconcertés. Mélanie Foucher, 21 ans, étudiante de deuxième année, a suivi ces séances : « Les premiers ateliers sont déroutants. On nous demande de nous allonger par terre ou d’apprendre à respirer. Mais le fait de mettre des mots sur ces sensations permet d’être à l’écoute de nous-mêmes et de gérer notre stress. »
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Pleine conscience, interactivité, projets pluridisciplinaires… Nul doute que la transmission des soft skills n’en est qu’à ses ­débuts à l’université et dans les grandes écoles.
Article publié en partenariat avec FormaSup Ain Rhône Loire et Skilvioo, dans le cadre de la Rencontre « CV Compétence » organisée jeudi 13 octobre à 18 heures à l’auditorium du Monde.
A chaque pays, ses compétences revendiquées…
Selon que vous serez un jeune diplômé indien, américain ou chinois, vous ne revendiquerez pas les mêmes compétences. Une étude réalisée par Ernst & Young, le CSA et Linkedin, en 2014, intitulée « La révolution des métiers », montre que la carte des compétences inscrites sur les profils Linkedin dépend du pays d’origine.
Ainsi les salariés des pays développés mettent plus en avant leurs compétences « comportementales » que « techniques ». Les Américains par exemple évoquent sans complexe leur aptitude à « l’amélioration de processus », au « leadership » ou à l’« esprit d’équipe ». Les Britanniques parlent de « travail en équipe », mais également de « coaching » ou « de gestion du changement ». Un Français valorisera quant à lui le « marketing digital » et, la « gestion – et non le travail – d’équipe ».
Les inscrits des pays émergents, eux, préfèrent largement citer leurs compétences techniques. Au Brésil, on met en avant des compétences liées aux logiciels ou à l’industrie. Les Indiens valorisent leurs atouts en développement informatique. Quant aux Chinois, ils préfèrent parler de leur industrie manufacturière.
Marine Miller
Journaliste au Monde

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