mercredi 21 décembre 2016

Le meurtre de l’ambassadeur, comme au cinéma?

Parmi la séquence meurtrière du lundi 19 décembre, une image se détache – pas forcément pour de bonnes raisons. L’assassinat de l’ambassadeur russe, Andreï Karlov, par un jeune policier turc, dans une galerie d’art d’Ankara, rappelle à certains l’attentat de Sarajavo, décrit comme le prélude à la Première guerre mondiale.
Du coup, plus encore que la vidéo qui a enregistré toute la scène, largement rediffusée par les chaînes d’information, les photos de l’événement frappent l’imagination. Réalisées quelques secondes après le meurtre par le photographe Burhan Ozbilici, témoin du drame, dont le professionnalisme lui a permis de reprendre le dessus, ces images montrent un homme en costume, le pistolet à la main, hurlant face au public, le doigt pointé dans un geste menaçant.


L’une d’entre elles, sélectionnée par Associated Press et diffusée sur son compte Facebook, sera choisie le lendemain comme image de Une par de nombreux quotidiens. Sur les réseaux sociaux, elle fait l’objet de jugements élogieux: « Tragic story but this is one of the greatest news photos I’ve ever seen » (Andy Abbott). « Cette photo restera dans l’histoire: le cadavre de l’ambassadeur russe en Turquie et son assassin cravaté« , estime de son côté Pierre Haski.
Les propriétés qui suscitent le commentaire et rendent cette image virale relèvent pourtant d’un espace ambigu. Rarement prise au cœur de l’action, la photographie documentaire en montre plus souvent les conséquences et les prolongements. Ici, le sang-froid du photographe permet de disposer d’une image exceptionnelle, qui décrit l’immédiat après-coup d’un attentat, dévoilant le visage de l’assassin, encore muni de son arme, mais aussi le corps de sa victime. Le fond blanc des cimaises confère à la scène un degré de lisibilité qui n’est généralement proposé que par les compositions du roman-photo. Pour couronner le tout, le costume-cravate, la posture et le pistolet du meurtrier évoquent également l’univers cinématographique, en particulier la célèbre séquence dite du « gun barrel » sur laquelle s’ouvrent tous les James Bond.
L’enregistrement vidéo donne une image moins glamour de l’événement. Les coups de feu, les cris de terreur du public, les hurlements du forcené, le corps de la victime à terre glacent le sang. Comme l’expriment quelques commentateurs, choqués par les éloges du cliché d’Associated Press: « You are all bloody crazy taking MORE notice of the way the photograph has been taken THAN the death of the Russian Ambassador for Turkey in Ankara ». Dans ce cas très particulier, on peut en effet considérer que les qualités iconiques de la photo tiennent du malentendu. Il y a des images qui ne méritent peut-être pas de rester dans l’histoire.

lundi 19 décembre 2016

Islam politique: des motivations plus profanes et politiques que religieuses

Revenant sur ses longues années de recherche dans les pays arabes, le politologue François Burgat, fait un tour d'horizon de leur évolution dans Comprendre l'islam politique (La découverte).

De l'Algérie à la Syrie en passant par l'Égypte et le Yémen, François Burgat, est l'un des premiers chercheurs à avoir pris conscience de l'importance de l'essor de l'islam politique.

Revenant sur ses années d'observation et de recherche dans les pays arabes, il fait, dans son livre Comprendre l'islam politique*, le point à la fois sur l'évolution du phénomène dans la région, mais également sur la construction de sa grille d'analyse de l'islamisme. L'occasion d'un retour aussi éclairant que passionnant sur les quatre dernières décennies de cette région du monde si troublée.
Rupture symbolique avec l'ex-puissance coloniale et les élites
Son entrée en contact avec ce qui deviendra son objet d'étude démarre au début des années 1970, en Algérie, où il passe sept années, pour sa recherche doctorale. De là, il sillonne aussi les pays voisins, Libye et Tunisie, en particulier. Il prend conscience de la réaffirmation identitaire que constitue le retour à l'islam -ce qu'il appelle le "parler musulman". Celui-ci ouvre un univers symbolique "perçu comme endogène", comme "hérité de la culture du grand-père". Il n'est imposé ni du dehors par la puissance coloniale, ni d'en haut, par les élites". Cette quête se nourrit en effet de la perception des élites nationalistes et bien souvent autocratiques comme acquises à l'univers symbolique du colonisateur.

Dès le départ, le chercheur a la conviction que "les vertus mobilisatrices de ce lexique musulman retrouvé proviennent moins de sa dimension sacrée que de son caractère endogène". Il voit dans cette évolution la poursuite de la rupture indépendantiste, au plan politique, et de celle des nationalisations au plan économique.


La progression de l'islam politique se traduira en Algérie par la victoire du Front islamique du salut (FIS) dans les urnes, en 1991. Avant que la confiscation de cette victoire par l'armée et la répression qui suit enclenche un cycle de violence dans le pays. Avec du recul, Burgat y voit l'annonce des soulèvements arabes de 2011.

"Ce n'est pas en réformant le discours religieux que l'on pacifiera le Proche-Orient"
Dans la deuxième partie de son ouvrage, l'auteur revient sur la radicalisation djihadiste. En désaccord avec l'approche culturaliste largement répandue, il montre que les motivations des islamistes radicaux et des djihadistes sont souvent bien plus profanes et politiques que religieuses. Plutôt que "de disserter sur le caractère 'islamique' du lexique utilisé par les révoltés", dit-il, il faut "rechercher les causalités sociales et plus encore politiques de leurs actes". Il prend notamment ses distances avec ses confrères Olivier Roy et plus encore avec Gilles Kepel selon qui la radicalisation sectaire serait le préalable ou la cause de la radicalisation politique.

"Si pour pacifier, on croit qu'il faut réformer la pensée religieuse radicale, on part dans la mauvaise direction, dit-il. Car ce n'est pas en réformant le discours religieux que l'on pacifiera la région, mais bien en pacifiant la région que l'on réformera le discours religieux."

* Comprendre l'islam politique. Une trajectoire de recherche sur l'altérité islamiste. 1973-2016. François Burgat. La Découverte, 260 p. 22 €