lundi 19 décembre 2016

Islam politique: des motivations plus profanes et politiques que religieuses

Revenant sur ses longues années de recherche dans les pays arabes, le politologue François Burgat, fait un tour d'horizon de leur évolution dans Comprendre l'islam politique (La découverte).

De l'Algérie à la Syrie en passant par l'Égypte et le Yémen, François Burgat, est l'un des premiers chercheurs à avoir pris conscience de l'importance de l'essor de l'islam politique.

Revenant sur ses années d'observation et de recherche dans les pays arabes, il fait, dans son livre Comprendre l'islam politique*, le point à la fois sur l'évolution du phénomène dans la région, mais également sur la construction de sa grille d'analyse de l'islamisme. L'occasion d'un retour aussi éclairant que passionnant sur les quatre dernières décennies de cette région du monde si troublée.
Rupture symbolique avec l'ex-puissance coloniale et les élites
Son entrée en contact avec ce qui deviendra son objet d'étude démarre au début des années 1970, en Algérie, où il passe sept années, pour sa recherche doctorale. De là, il sillonne aussi les pays voisins, Libye et Tunisie, en particulier. Il prend conscience de la réaffirmation identitaire que constitue le retour à l'islam -ce qu'il appelle le "parler musulman". Celui-ci ouvre un univers symbolique "perçu comme endogène", comme "hérité de la culture du grand-père". Il n'est imposé ni du dehors par la puissance coloniale, ni d'en haut, par les élites". Cette quête se nourrit en effet de la perception des élites nationalistes et bien souvent autocratiques comme acquises à l'univers symbolique du colonisateur.

Dès le départ, le chercheur a la conviction que "les vertus mobilisatrices de ce lexique musulman retrouvé proviennent moins de sa dimension sacrée que de son caractère endogène". Il voit dans cette évolution la poursuite de la rupture indépendantiste, au plan politique, et de celle des nationalisations au plan économique.


La progression de l'islam politique se traduira en Algérie par la victoire du Front islamique du salut (FIS) dans les urnes, en 1991. Avant que la confiscation de cette victoire par l'armée et la répression qui suit enclenche un cycle de violence dans le pays. Avec du recul, Burgat y voit l'annonce des soulèvements arabes de 2011.

"Ce n'est pas en réformant le discours religieux que l'on pacifiera le Proche-Orient"
Dans la deuxième partie de son ouvrage, l'auteur revient sur la radicalisation djihadiste. En désaccord avec l'approche culturaliste largement répandue, il montre que les motivations des islamistes radicaux et des djihadistes sont souvent bien plus profanes et politiques que religieuses. Plutôt que "de disserter sur le caractère 'islamique' du lexique utilisé par les révoltés", dit-il, il faut "rechercher les causalités sociales et plus encore politiques de leurs actes". Il prend notamment ses distances avec ses confrères Olivier Roy et plus encore avec Gilles Kepel selon qui la radicalisation sectaire serait le préalable ou la cause de la radicalisation politique.

"Si pour pacifier, on croit qu'il faut réformer la pensée religieuse radicale, on part dans la mauvaise direction, dit-il. Car ce n'est pas en réformant le discours religieux que l'on pacifiera la région, mais bien en pacifiant la région que l'on réformera le discours religieux."

* Comprendre l'islam politique. Une trajectoire de recherche sur l'altérité islamiste. 1973-2016. François Burgat. La Découverte, 260 p. 22 €

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