mardi 18 mars 2008

Thérapeutes ou DRH ?

Débat avec Mony Elkaïm, Félix Guattari, Ronald Laing et Carl Whitaker.
http://www.therapie-familiale.org/resonances/pdf/hommage.pdf

Les fondateurs de l'antipsychiatrie dénonçaient la dérive de leurs théories en 1981 et l'usage de contrôle social qui en est fait.

Extrait :
"Lorsqu’on repense aux ouvrages de Ronald Laing et de David Cooper, c’était très important de se rendre compte que ce que quelqu’un fait d’apparemment fou n’est pas si fou que ça dans ce contexte-là. C’était très novateur, très important, c’était quelque chose qui ouvrait énormément le champ. Le problème pour moi c’est que l’aspect subversif de ceux qui contestaient une vision linéaire et réductrice en psychothérapie s’est rapidement limité.
Et ce qu’on a vu apparaître ce sont des professionnels qui ont tenté quasi systématiquement de résoudre les problèmes dans le contexte exclusif de la famille. Il y a eu une ouverture qui contestait une sorte de logique individuelle de la maladie mentale mais qui s’est tout de suite refermée à un niveau familial.
Parallèlement à cela, je dirais que beaucoup de ces travailleurs, cherchent à savoir honnêtement comment intervenir dans un contexte, comment aider. Ils sont coincés par les grilles explicatives qu’ils possèdent et qui ramènent tout ce qui se passe à la famille. D’où un problème. Imagine, par exemple, un gosse délinquant qui arrive chez le thérapeute familial.
Le thérapeute familial veut voir le gosse délinquant, son papa, sa maman, ses frères et soeurs et il va essayer de voir le rôle de la famille dans cet acte délinquant. Il suffit de changer un petit peu le grossissement du microscope pour voir par exemple, que dans ce quartier-là, ce gosse appartient à une communauté nord-africaine à Schaerbeek* et que quand on est nord-africain à Schaerbeek, c’est extrêmement fréquent que les gosses à cet âge-là deviennent délinquants.
Alors, c’est intéressant, à ce moment-là, les éléments en jeu ne sont plus uniquement des éléments familiaux mais aussi des éléments d’un contexte beaucoup plus général.
Et là, il y a un problème qui se pose : ces professionnels vont dire : «vous comprenez, nous, notre travail c’est d’aider les gens, on ne peut pas répondre à nos patients : «voilà, ce sont des éléments sociaux qui créent des problèmes de santé mentale, il faut changer la société». Ces thérapeutes me diront, «concrètement que faire aujourd’hui, que faire maintenant ?»
C’est effectivement ceci qui crée les sentiments mitigés. Tu as d’un côté des gens qui viennent demander de l’aide parce qu’ils ne s’en tirent pas. D’un autre côté, tu te rends compte que répondre à certaines demandes peut être en soi un acte de contrôle social, un acte potentiellement mystificateur. Mystificateur parce que nous risquons d’envoyer le message que ce qui a créé effectivement le problème c’est cette famille, d’où tout un débat important.
Ce que nous avons voulu faire au cours de cette rencontre-ci, c’est faire venir à la fois des gens qui comme Bonner à Reggio Emilia, Desmarais au Canada, travaillent dans des quartiers avec des réseaux sociaux, en se posant la question : «quelle est la fonction de ma pratique ? Qui est-ce que je sers ?»"

Aujourd'hui, ce sont les DRH et autres psys d'entreprise qui renvoient à chacun que son malaise dans le monde du travail vient de lui, qu'il faut donc qu'il se soigne.